Pavage et migrations au fil du temps

Les grandes lignes de l’histoire du pavage ne sont pas exhaustives, loin s’en faut, mais leur retranscription nous a paru nécessaire afin de mesurer le chemin parcouru depuis. De la Rome Antique à aujourd’hui…

Des Pierres et des Hommes...

Si l’histoire nous montre que l’évolution du pavage ne s’est faite ni en un jour ni même en un siècle, elle ne nous enseigne pas moins la faillibilité, la complexité, l’humilité, mais aussi les incroyables avancées, d’un véritable art au service des hommes, de la civilisation et du progrès. Un art qui vient aussi poser un trait d’union plus que palpable entre l’homme et la matière, l’homme et la nature … L’homme et la pierre !

Et, du dallage des romains, qui s’adaptait au relief du décorum naturel, au pavage moderne d’aujourd’hui, qui repense et « dessine le sol » d’une place ou d’une rue piétonnière, soucieux d’allier à la fois esthétisme et confort, combien de pierres auront été extraites, éclatées, transformées, amoncelées, transportées, posées, alignées ? Des quantités qui ne peuvent que relever de l’ordre de l’abstrait, et du vertige ! Mais qui portent toutes l’empreinte de la main de l’homme. De celle du spécialiste à celle de l’ouvrier, de celle du sachant à celle de l’artisan. Et qui, associées et ajoutées les unes aux autres, tissent la trame de l’œuvre du pavage. La rendent possible.

Du sachant à l'artisan, des migrations « maçonnantes » des limousins à celle des portugais dès les années 60...

Qui sont ces hommes ?…

Réunis par le même projet, ils se différencient par le terrain de leurs compétences. Les premiers sont garants de la bonne compréhension et de la faisabilité du projet, les seconds l’exécutent. Mais, parlons en premier lieu des seconds, qui sont ces hommes qui travaillent, façonnent et posent la pierre…

Les « ouvriers paveurs », ou « paveurs » semblent être, autant que l’on s’en souvienne, les appellations les plus utilisées pour désigner cette main-d’œuvre. Bien que, à en croire la littérature de l’époque, s’agissant des ouvriers limousins qui migraient vers les chantiers des grandes villes au 17e siècle, furent utilisés à l’endroit de ces derniers les vocables « migrations maçonnantes » et « maçons ». Car, depuis le haut Moyen âge, les paveurs faisaient officiellement partie du métier de maçon.

Jusqu’en 1502, date à laquelle apparut le premier statut concernant les paveurs, pour ensuite être amélioré sous le règne de François 1er (1515-1547), ces derniers n’étaient pas encore une communauté, mais étaient déjà bien organisés professionnellement. « Le paveur du roi », qui allait alors succéder au « visiteur du pavé », lequel était élu parmi les paveurs les plus habiles et était renouvelé chaque année pour éviter les fraudes, faisait son choix parmi les ouvriers paveurs de Paris. Quand le prévôt des marchands était alors responsable de l’exécution des travaux, et le financement assuré par les autorités royales.

Ce n’est donc, comme déjà souligné, qu’avec le premier statut de 1502 concernant les paveurs, que furent définies avec précision les règles de l’art du métier, en plus des dispositions corporatistes. Les autorités donnèrent enfin des statuts pour la profession, laquelle fut enfin regroupée dans une nouvelle corporation. Tandis que trois ans d’apprentissage pour prétendre à la maîtrise furent décrétés. Puis, il fallut attendre 1582, pour que les paveurs soient cités au 4e rang des métiers de Paris.

Enfin, concernant les origines des paveurs, il nous parait important de rendre hommage à ces paveurs venus d’ailleurs : ceux qui, à l’instar des paveurs limousins, ont, sur plusieurs générations, marqué, par le passé, l’histoire du pavage français, et ceux qui, à l’instar des paveurs portugais, contribuent depuis les années 60 et 70 au prestige et rayonnement de nos pavages, de pères en fils.

Les migrations alors appelées « maçonnantes » constituent un phénomène ancien dans tout le Limousin. Pauvres paysans, ils quittaient leur Creuse natale pour rejoindre les villes et y chercher « fortune ». Une vieille tradition qui se perpétua sur de nombreuses générations de limousins. Les chantiers de Paris n’échappèrent pas, avec bonheur d’ailleurs, à ces fortes migrations de limousins. Et ce depuis bien longtemps, puisque, si l’on en croit un écrit du directeur des travaux du château de Versailles adressé à Colbert au courant de l’hiver 1670, ces mêmes migrants limousins constituaient une importante et précieuse main d’œuvre pour les travaux parisiens : « Tous nos ouvrages seront mieux établis après les fêtes (…) parce que les Limousins seront de retour ». Ce qui, en effet, laisse aussi penser que les ouvriers limousins, dont beaucoup étaient paveurs, migraient déjà vers Paris au 17e siècle.  L’apogée des migrations des limousins semble se situer à la fin du Second Empire. Même si la guerre de 1870 interrompit un temps les migrations vers les grandes villes, pour reprendre de plus bel vers 1875. Et ce n’est qu’à partir de la première guerre mondiale que les flux des limousins vers les villes et la Capitale commencèrent à se tarir, la plupart d’entre eux s’étant installés dans leurs villes d’accueil.

Les travailleurs portugais ont, eux aussi, migré vers la France pour fuir la misère de leur pays. Et aussi, sa politique austère. C’est au début des années 60 qu’il commencèrent à rejoindre la France en grand nombre. C’est aussi dans les années 60 que la France, de son côté, eut besoin de travailleurs immigrés et les invitèrent à venir. Ils représentaient la plupart du temps les classes populaires du Portugal et virent en la France un moyen de réussir. Les « portugais de France », très vite, se spécialisèrent dans les domaines de la maçonnerie, du bâtiment et du pavage. Très habiles de leurs mains, ils excellent, notamment, dans le domaine du pavage. La tradition se transmet de père en fils. Et nombreux sont, depuis, restés en France.

Cependant, le hasard ne peut à lui seul expliquer que les portugais soient de si bons paveurs. Au Portugal, au même titre que le fado ou les azulejos, le pavage de la chaussée portugaise, que l’on appelle « calçada portuguesa », est une tradition culturelle. Un symbole culturel. Les artisans de ces chaussées sont appelés les « calçeteiros » et, revêtues de petits pavés noirs et blancs, celles-ci représentent le plus souvent de magnifiques mosaïques. Faisant notamment la grande fierté de Lisbonne. Il se dit que ces mosaïques ont été inspirées de la longue histoire que les Portugais ont avec la mer (vagues, caravelles, cordes, coquillages, animaux marins, etc.). Le Portugal aurait alors « exporté » ce savoir-faire dans ses anciennes colonies, où l’on trouve aussi des calçadas. Aussi bien au Brésil, qu’en Angola, qu’au Mozambique ou qu’à Macao.

Quoiqu’il en soit, il est difficile de ne pas quelque part associer le savoir-faire et la main aguerrie et habile du paveur d’origine portugaise à ce travail d’orfèvre qu’est la « calçada portuguesa » !

Pour finir, le travail des paveurs nous amène naturellement à celui des hommes de l’art, ceux par qui le labeur est rendu possible et se concrétise, dans le respect de l’art et des règles de l’art. Ces professionnels de la mise en œuvre d’éléments modulaires en pierre naturelle œuvrent, de nos jours, le plus souvent en amont de PME spécialisées et de filiales routières du BTP. On leur doit la sauvegarde et l’actualisation du savoir et de la science du pavage. Science qui reste, cependant, faillible, et ce au-delà de la norme en vigueur qui régit les exigences applicables au métier de la pose et prévaut en la matière : la norme NF P 98-335, en l’occurrence. Parce que la main de l’homme sur le terrain, les conditions climatiques, l’usage de « matériaux vivants » sont autant de facteurs susceptibles d’interférer dans la mise en œuvre, aussi règlementée, mesurée et calibrée soit-elle.

Or, qui mieux que ces professionnels, en leur qualité de sachants, peut exercer un devoir de conseil ? Forts de leurs retours d’expérience, ils sont les mieux placés pour prodiguer des conseils et émettre des recommandations tenant compte de ces mêmes retours d’expérience, de l’évolution des techniques, de celle des matériaux de construction, et des conditions d’exécution actuelles.

 

Paveurs limousins à l'ouvrage
Théâtre municipal de Saint-Denis, 1947
Calceteiros à l'ouvrage
Lisbonne, 1907

Sources et crédits photos: