Petite histoire du pavage parisien

Paver ses chaussées et ses routes, n’est-ce pas l’apanage de toute cité civilisée ? Ainsi, Phéniciens, Carthaginois, Romains avaient-ils déjà recours au dallage ou à l’empierrement.

Les voies romaines, les prémices antiques du pavage

La Rome antique pavait et empierrait ses chaussées et routes circulées pour sa défense, le déplacement de ses chars et armées, et pour le transport de ses marchandises et de ses approvisionnements. Les voies romaines étaient soigneusement tracées et conçues pour être solides, pratiques et esthétiques. Consistant le plus souvent en de lourdes dalles de pierre assemblées en « opus incertum » posé sur la terre compactée, elles épousaient généralement le relief.

Les voies romaines étaient alors considérées comme des monuments, qu’elles fussent construites à l’intérieur de la cité, à ses abords ou vers l’extérieur, à l’instar de la « Via Appia » (ou « voie Appienne ») qui, reliant alors Rome à Capoue, s’illustra comme étant la première « Via Publica » (sorte de « route nationale ») du genre.

Et qui fut qualifiée par l’historien byzantin Procope, environ 900 ans après sa construction, de véritable « merveille », et dont les pavés « malgré le temps écoulé (…) n’ont été nullement altérés » et « n’ont rien perdu de leur poli ».

Ces grands travaux de voies Romaines s’inscrivent dans le registre des prouesses de l’Antiquité, et de l’Histoire. Car au-delà des indéniables performances pratiques, stratégiques et techniques et l’étendue de ces voies romaines, y circulaient « idées, influences artistiques ainsi que doctrines philosophiques et religieuses » (Romolo Staccioli, épigraphiste).

Restes de la Voie Appienne à Rome
Fontaine sur la Voie Appienne

1186, les premiers travaux de pavage à Paris

De ces prémices antiques du pavage, il est à retenir la dimension fortement esthétique de l’exercice. Car, bien des siècles plus tard, en France, le pavage des rues de la ville de Paris venait-il essentiellement s’imposer comme une nécessité d’ordre publique et sanitaire à travers l’odorat d’un roi bien décidé à remédier à l’insalubrité désastreuse de la capitale, qui n’était que boue, égouts à ciel ouvert et puanteur pestilentielle : « le bien-nommé » Philippe Auguste (Cf. La chronique de l’Abbaye de Saint Denis, 1186). L’année 1186 marque alors le début des travaux du règne de Philippe Auguste (1179-1223), avec le pavage de la « Croisée de Paris », à savoir les grandes artères de la Capitale, allant du Nord au Sud, et d’Est en Ouest, et reprenant ainsi le principe du « Cardo » et du « Decumanus » usités dans les grandes villes romaines. Les pavés sont alors de grosses dalles de grès de deux à trois pieds carré, soit d’environ 1 mètre 50 de côté, pour une épaisseur variant de 35 à 40 centimètres. Leur assise dépendait de leur poids (qui, pour certains blocs, pouvait atteindre 2 tonnes !), ce qui explique qu’elles n’étaient pas jointes entre elles par un mortier. Les ouvriers aménageaient au centre des rues une rigole destinée à récupérer eau de pluie, eaux usées et immondices. Au demeurant, ces rigoles ne s’avérèrent pas vraiment efficaces puisqu’elles seront engorgées par des détritus qui s’y amoncèlent…

Si les projets pour sa ville de Philippe Auguste n’allèrent, dans leur pratique, pas plus loin que les environs du palais royal et ladite « Croisée de Paris », exceptés quelques rues secondaires (comme celles partant des nouvelles Halles) et deux ponts, le Pont au Change et le Petit Pont, ils participèrent largement à signaler le règne du monarque. Marquant ce faisant, l’avènement, en France, de l’art et de l’exercice du pavage en termes de pose d’éléments modulaires calibrés permettant l’édifice de chaussées et de voies carrossables. Par ailleurs, quelques expressions datant de ces premiers pavages perdureront jusque de nos jours, comme « Comme le carreau des Halles » ou encore « rester sur le carreau », les pavés étant alors, lorsque les dalles étaient posées à plat, aussi appelés « carreaux » !

Aussi, le règne de Philippe Auguste, marqua-t-il le début d’un intérêt, certes inégal, mais réel des rois de France successifs pour le pavage de la ville de Paris… Mais, le chantier restait énorme, et très couteux. Et aux frais de la bourgeoisie. Ce qui fit que les travaux initiés par Philippe Auguste se cantonnèrent longtemps, comme cela a déjà été souligné, au pavage des rues principales de Paris. Et qu’il fallut attendre quatre siècles plus tard pour que François 1er (1515-1547), puis Henri IV (1572-1610), poursuivent l’œuvre de Philippe Auguste, sans pour autant hélas la mener à bien. L’on doit à Henri IV l’exécution, sous la direction des agents de la ville organisés au sein du Pavé de Paris, des travaux de pavage par baux d’entretien. Baux qui avaient, alors, une durée de 7 ans et qui comportaient les travaux d’entretien, de rétablissement et de nouveau pavage. On en dénombre 26 pour la période de 1605 à 1790. Malgré tout, l’influence de ces deux rois demeura, comme souligné plus haut, et toutes proportions gardées, limitée. Ainsi, sous Louis XIV (1643-1715), au 17e S, époque à laquelle les carreaux et les rabots avaient déjà été remplacés par les « Pavés du Roi », et à qui l’on doit « l’invention du pavé », du moins tel qu’on peut le voir dans la cour de Versailles ou dans celles des Hôtels particuliers du Marais (pavés grès 18×18 ou 20×20, d’une épaisseur de 23 cm), l’on constatait qu’il restait… beaucoup à faire ! …

Au 18è siècle, dès la fin de l’ancien régime, les prémices et les expérimentations techniques permettant de systématiser, à l’échelle de ses grands travaux de percement, le grand modèle de ce qui allait s’appeler « la voirie urbaine haussmannienne », apparaissent. Sous la Révolution, en 1790, on confirme le statut de soumission des voies parisiennes au régime de la grande voirie, autrement dit celui engageant les frais de l’Etat, sous la surveillance de son administration. Et l’on décide d’imputer les frais du Pavé sur le budget des ponts et chaussées. Tout l’entretien du pavé est alors payé par la ville qui reçoit, en échange, une subvention de l’Etat. Il faudra attendre un décret du 12 avril 1856 pour disposer que « les frais de toute nature relatifs à l’entretien des chaussées de Paris » soient supportés moitié par la ville, moitié par l’Etat.

Le 19e siècle, une avancée considérable et charnière de la voierie parisienne

Dès le 19e siècle, tandis que la théorie « hygiéniste » s’étend aussi aux autres villes de France, l’hygiène et la santé, après les terribles épidémies de choléra (1832), de typhoïde (1872) et de tuberculose, sont plus que jamais au centre des préoccupations. Des élites techniques comme des responsables de l’administration. Le 29 juin 1853, l’empereur Napoléon III (1852-1871) confie au baron Haussmann, alors préfet de la Seine, la mission consistant à faire de Paris la plus belle ville du monde. Georges Eugène Haussmann – à qui revient en l’occurrence le grand mérite d’avoir, avec l’ingénieur Belgrand, été à l’origine des circuits d’adduction d’eau et d’un réseau moderne d’égouts – qui souhaite instaurer une politique facilitant l’écoulement des flux, aussi bien de la population, des marchandises que de l’air et de l’eau. La distribution de l’eau et l’assainissement de la ville seront alors les questions les plus urgentes à régler. Paris ne sent pas bon. La littérature réaliste de l’époque, de Flaubert à Maupassant, le confirme. Les nouvelles couches sociales urbaines aspireront alors au confort et poseront le problème de la distribution des commodités. Circulation, aération, lutte contre la poussière, ventilation de la cité sont donc autant de thèmes au centre des préoccupations. Ingénieurs et entreprises sont sollicités. Aux nouveaux besoins, de nouvelles techniques. Les travaux seront conçus par les ingénieurs du corps des ponts et chaussées, dépendant du Ministère puis de celui des travaux publics et mis en position de détachement dans les services de la ville. L’enseignement dispensé à l’Ecole polytechnique puis à l’Ecole des Ponts et Chaussées contribuera à former des ingénieurs accomplis. Cette formation contribuera aussi à donner des réponses techniques d’une qualité exceptionnelle et qui seront mises au service d’une politique soucieuse de l’intérêt général. Une tradition spécifiquement française qui aura donné la préférence au service public, et ce en disposant des grands corps d’ingénieurs formés dans les écoles de l’Etat. Et auprès desquels, la collaboration de conducteurs de ponts et chaussées, de collaborateurs directs et d’hommes de terrain aura été des plus importantes et des plus bénéfiques.

Entre 1810 et 1848, étaient livrées à la circulation 180 rues, dont 110 environ, entre 1830 et 1848. Soit plus de 42 km. L’établissement d’un pavage – ou d’un empierrement – étant alors la condition de l’autorisation préfectorale d’ouverture d’une voie, de sa dénomination comme rue, et de son entretien par le service du Pavé.

Les besoins annuels de la ville de Paris sont estimés, autour de 1830 et 1840, à un million de pavés. L’essentiel des pavés provient alors des carrières de grès de l’Yvette, de Fontainebleau, de Belloy, de Morret et d’Ocquerre. Chaque carrière fait l’objet d’une adjudication et le pavé échantillon traditionnel remplace, après 1830, le pavé cubique. Les chaussées bombées et les trottoirs voient l’arrivée des boutisses (0,34 mètres de long) et celle des bordures en pierre dure, avec une préférence pour le granit de 0,35 mètres de haut pour 0,46 ou 0,57 mètres de long. Le bail de 1830 a une importance toute particulière car il instaure pour la première fois la séparation entre les marchés de fourniture et les marchés de pose, permettant par la suite à la ville une maitrise totale des matériaux de ses chaussées et de ses trottoirs, mais aussi de s’adresser directement aux maitres carriers.

Le premier trottoir de Paris fut celui de la rue de l’Odéon, et il apparaissait, déjà, en 1781. Puis, les trottoirs firent l’objet d’un débat incessant quant à leur mise au point et financement. Il y eut l’usage de dalles de granit ou de pierre, puis celui, aussi, du mastic bitumeux, qui fut mis en place avec succès pour la première fois sur le Pont Royal, en 1835. En 1832, un certain Partiot, alors directeur du service du pavé et des boulevards de Paris (1831-1839), réfléchit à l’établissement d’un règlement sur les largeurs à assigner aux chaussées et trottoirs de la ville. Réflexion intéressante puisque la question est abordée pour la première fois sous l’angle du calibrage des chaussées en fonction de la largeur des espèces de voitures circulant dans Paris. Différenciant, par ailleurs, les rues ouvertes sous l’ancien régime des rues plus larges, ouvertes ou percées, par la suite. Et de proposer, enfin, pour toutes les rues de plus de 20 mètres de large, de porter systématiquement les trottoirs à 4 mètres de large de façon à pouvoir y planter des arbres sans inconvénients de façades… En 1945 (avec la loi du 7 juin 1845) est instauré le système des trottoirs, qui va alors de pair avec le pavage des chaussées pour lesquelles on adoptera un profil en travers bombé, (permettant ainsi l’écoulement des eaux vers les égouts). En 1846 (avec l’arrêté du 15 avril 1846) est aussi fixé le règlement pour la construction des trottoirs et leur dimensionnement en fonction de la largeur des rues. Avec comme principe retenu établi sur une proportion de 3/5 de chaussée pour 2/5 de trottoirs. Et qui sera complété ensuite pour les boulevards et avenues…

Aussi, à partir de 1859, il ne sera plus question de « Pavé de Paris » mais de « Voie publique ».

Les projets d’urbanisme de Napoléon III auront donné une énorme impulsion au sein des services de l’administration parisienne et auront permis, en 20 ans (autrement dit, le temps de son règne (1852 1871)), de jeter les bases d’une doctrine et d’un véritable « art de la voierie ». Vingt années qui auront permis de construire une vision contemporaine de la rue, dès lors considérée comme un ouvrage technique primordial dans le processus de modernisation de la Capitale, comme de son embellissement.

Ainsi, le 19e siècle marque une avancée considérable et charnière de la voirie parisienne. Voirie parisienne qui, dans l’histoire des mutations urbaines, occupe une place tout à fait privilégiée. Et l’on peut dire que, au-delà de l’urgence d’un assainissement de la ville de Paris et du désir évident de son embellissement, les bases d’un modèle contemporain de la cité (comme de ses règles) à travers un prisme démocratique ont été jetées avec et tout le long de ce siècle. Un siècle qui peut prétendre sans rougir avoir vu l’achèvement des grands travaux de voirie et celui du revêtement de la Capitale (et des autres grandes villes). Et de marquer, en l’occurrence, la mise au point définitive du pavé de granit dit de « mosaïque ».

 

De la fin du 19e siècle à aujourd'hui

La Capitale a, ensuite et depuis les travaux d’ampleur entrepris durant le 19e siècle, bien sûr continué à évoluer. Et avec l’intensification de la circulation dans les rues de Paris, il fallut revêtir le sol d’un matériau homogène afin de fluidifier le trafic et éviter les accidents. Les Parisiens ont longtemps hésité, optant ici pour le gros pavé, là pour le petit pavé piqué, le pavé de bois, l’asphalte ou encore le macadam. Au total, cela revient donc à pas moins de cinq types distincts de revêtements utilisés successivement et tour à tour dans la ville. Et de présenter chacun leurs avantages comme leurs inconvénients.

Le gros pavé et le petit pavé piqué sont issus des carrières de grès. Extraits et posés de la même façon, le petit pavé piqué se différencie du gros pavé en ce qu’il est ciselé par les ouvriers pour en faire des morceaux plus petits et plus réguliers, tout en permettant un pavage plus soigné. Les petits pavés présentaient l’avantage d’épargner les automobilistes des désagréments que causaient les gros pavés. Le petit pavé était, par ailleurs, pratiquement inusable et particulièrement esthétique. Toutefois, cette industrie consistant en l’application du grès au revêtement des voies urbaines, si elle perdura jusqu’au 19e S, périclita dans sa dernière décennie. Les parisiens lui préférant alors l’âpre senteur de l’asphalte ou le pavé de bois. 

L’asphalte, revêtement fabriqué dans des centrales à partir du bitume et de granulats et étalé à chaud manuellement, fut progressivement intégré au détriment du pavé de grès : moins couteux, plus sûr, moins glissant, moins sonore… Et si sa généralisation fut quelque peu tardive au vu de raisons techniques et commerciales, l’asphalte, utilisé aussi bien pour les chaussées que pour les trottoirs, fut notamment le bienvenu après les manifestations de Mai 68 et constitue, en quelque sorte, l’ancêtre de nos revêtements actuels.

Quant aux pavés de bois, ils rencontrèrent beaucoup d’enthousiasme à l’époque de leur élaboration. Mais, paradoxalement, ils furent les plus critiqués. Constitués de bois de pin des Landes ou de sapin des Alpes, ils étaient posés perpendiculairement à la chaussée et scellés par du bitume. Ce revêtement permettait de réduire les nuisances sonores mais était particulièrement glissant. Les Parisiens lui reprochèrent notamment de pourrir, d’être un foyer à microbes, qui plus est particulièrement malodorant. L’inondation de Paris en 1910 termina de convaincre les parisiens de sa perfectibilité (les pavés en bois flottaient à la surface des eaux !). Et après 1930, les pavés de bois furent totalement abandonnés.

Le Macadam, enfin, a, quant à lui, permis, par couches successives de grosses et plus petites pierres cassées, liées à la glaise et au sable, d’élaborer un empierrement compact (à l’aide d’un rouleau compresseur), légèrement en pente et surélevé, facilitant ainsi l’écoulement de l’eau. Disposition qui assurait alors une meilleure longévité des routes. Son étanchéité fut par la suite améliorée par l’imprégnation de bitume ou de goudron. Aujourd’hui, le terme « macadam » est souvent employé à tort pour désigner les « chaussées macadamisées » qui ont été revêtues de béton de goudron (appelé plus couramment, tarmac), puis de béton bitumeux. 

Aujourd’hui, le béton bitumineux coulé à chaud s’est largement substitué aux pavés et à d’autres revêtements utilisés à l’époque (pour ce qui est, notamment, des routes principales à fort trafic), bien que l’on puisse encore en trouver des traces dans Paris. A l’instar de certains endroits où le bitume a été tout simplement étalé au-dessus des pavés. Et les rues piétonnes du centre-ville ont, pour la plupart, conservé leur pavé d’époque apparent.

Cette longue série d’expériences, qui ont finalement abouti à des versions revisitées et améliorées, fait toute la richesse de notre histoire de pavage. Qui, progressivement, a su s’adapter aussi bien à l’homme, sa circulation et son confort qu’à la nature et ses aléas climatiques et aux besoins suscités par le progrès, notamment industriel. Véritable science, véritable art qui allie désormais pragmatisme et compétences techniques au souci d’esthétisme, pour ce qui est notamment des places, abords de palais, rues piétonnières, etc.

Mise des baguettes pour pavés de bois
Paris, 1908
Passage du rouleau, lissage de l'asphalte Paris, 1908
Pose de bitume sur les chaussées pavées Paris, 1930.

Sources et crédits photos:

  • Les voies romaines : prouesses de l’Antiquité – Bibliothèque en ligne (web)
  • Chroniques Médiévales : des Pavés pour les rues de Paris – Jean-Marie Borghino, au service de l’histoire… (site web)
  • Paris à l’époque de Philippe Auguste http://www.philippe-auguste.com/ville/pavage.html (Site Web)
  • L’histoire du Pavage – Pavage et Création (site web) 
  • « La fabrication des rues de Paris au XIXe siècle : Un territoire d’innovation technique et politique », Bernard Landau – Les annales de la recherche urbaine (1992) .
  • Petite Histoire des Revêtements de la Chaussée de Paris – Histoire de Paris – Paris ZigZag (site web)  
  • Les maçons de la Creuse – http://lhistgeobox.blogspot.fr
  • Histoire du pavage – FS Pavage         
  • Crédits photos Web: © Jacques Boyer / Roger-Viollet/Albert Harlingue
  • Petite Histoire des Revêtements de la Chaussée de Paris – Histoire de Paris – Paris ZigZag (site web) / © Wikipédia (https://fr.wikipedia.org/wiki/Voie_Appienne)